L’illuminé de Métal Hurlant – Philippe Druillet en 10 Planches
« Il y a chez Philippe Druillet, dans les fresques folles accouchées par son trait, comme un sanglot mystique au bord de se briser. C’est l’émergence pointue des plus extatiques flamboyances tendues vers les dieux des cieux innombrables. C’est, portée aux nues, l’irrésistible rigidité géométrique des métropoles à venir où l’homoncule bimillénaire redouté par Wells, serré dans son carcan de plastique isotherme, se meut au carré sous des bulles immuables. Druillet, c’est Wagner à ses pinceaux. C’est le chant teutonique des éternités médiévales, la conscience profonde de la gravité du monde, l’indéfectible certitude de la nécessité gothique des ordres nouveaux et l’effroi distingué de la chose guerrière. »
Pierre Desproges
10. Les 6 voyages de Lone Sloane
Philippe Druillet (1972)

Commençons avec les 6 voyages de Lone Sloane publiés en 1972. Druillet nous présente Lone Sloane, un explorateur de l’espace aux pouvoirs mystiques à travers 6 histoires courtes.
Les premières armes de l’auteur se font dans la revue Pilote (comme beaucoup d’artistes de l’époque). De ce travail émane une oeuvre fondatrice et les prémices d’un talent exceptionnel. Son souci de la mise en page (12 double pages de vue galactique), son mariage des couleurs ainsi que le détail de la ligne font de cet opus l’ouverture d’un ballet prometteur. Une découverte cosmique que je vous conseille d’accompagner par un champ sonore de l’époque orchestré par Mr David Bowie « Space Oddity »(1969).
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Les 6 voyages de Lone Sloane
9. Delirius
Philippe Druillet & Jacques Lob (1973)
Tout d’abord le scénario; un voyou est approché par des prêtres pour récupérer une planète à un empereur. Et tout part en vrille. Il faut lire l’histoire jusqu’au bout pour comprendre la pirouette.
Les dessins sont fantastiques. Presque toutes les scènes sont travaillées sur la profondeur, avec un souci du détail et grand dieu ce que j’adore ces détails qui obligent à la relecture (voir mon article sur Geof Darrow).
Fidèle à son travail, Druillet continue à déployer ses talents et sa reflexion dans la mise en page. De temps en temps classique, souvent linéaire, parfois décalé, l’agencement des vignettes participe au rythme du scénario et accompagne ses lignes toujours plus envoutantes au fil des pages.

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Delirius
8. Vuzz
Philippe Druillet (1974-1978)

Sexe, violence et mort, voici comment cet album s’annonce. Des visions d’horreur d’un monde que Druillet nous offre sans filtre. Une oeuvre essentielle mais surprenante quand on connait la carrière de l’artiste puisque nous ne sommes pas dans les calques classiques de sa science fiction. La mise en page ne ressemble pas aux opus précédents. Le monde de Vuzz est brut et nous est donné comme tel. Le sexe y est prépondérant, les dialogues sont épurés de tout superflu. (attention aux âmes sensibles). La couleur si explosive des oeuvres de Druillet est remplacée par un graphisme en noir et blanc. Des esquisses et un déroulé de scénario ressemblant à un cut-up de William Burroughs. Un livre plus intime, moins space opéra mais à découvrir ou à relire sans hésiter.
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Vuzz L’intégrale
7. Yragael ou la fin des temps
Philippe Druillet & Michel Demuth (1974)
L’histoire du dernier empire sur terre, des dieux créateurs assistants à la naissance ou à la mort de l’univers. Yragael, héritier du trône de Sharaïn lutte contre son frère Tarré (Saber…). C’est évidemment la fin de l’espèce humaine qui se joue. Le scénario nécessite une relecture. Beaucoup de poésie mais il faut s’habituer à la construction surréaliste. Demuth s’attache à faire vivre un récit poétique apocalyptique, pas à construire un scénario.
C’est évidemment un hommage aux univers de Lovecraft et de Moorcock. Druillet travaille ses visuels avec beaucoup d’inspiration , étant lui même un grand admirateur de H.P. Lovecraft.

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Yragaël Tome 1
6. Urm le fou
Philippe Druillet & Michel Demuth (1975)

Il n’est pas surprenant que la suite d’Yragael ne se soucie pas d’un format standard narratif. Le lecteur aura donc le privilège d’assister à la fureur des dieux dans la ville de Cemeroon. Le prince se lève devant le divin, s’adjoint la force de nobles combattants et défit le destin. La forme du récit est plus linéaire et les dessins toujours aussi mystiques. Pour des raisons obscures, cette planche me fait penser au dessin d’Eddie Campbell et Alan Moore dans « From Hell » (voir mon billet sur Le grand Alan Moore). Les amateurs de fantasy comics vont adorer ce volume. Peut être pas la meilleure oeuvre pour découvrir Philippe Druillet.
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Urm le Fou L’intégrale
5. Mirages
Philippe Druillet (1976)
Comme pour les précédents articles, j’essaie toujours de mettre une planche sur un livre de table basse, à lire au coin du feu, retraçant ou compilant l’oeuvre de l’artiste. Pour Philippe Druillet, ce sera Mirages. Mieux encore la 4ème réédition se nommera « Mirages et folies augmentées ». Un recueil expérimental de 36 planches en 1976 se transformant en 368 pages en 2021 chez Glénat, le tout commenté par l’auteur. On notera au passage les magnifiques collaborations avec Picotto, Bihannic et Alexis. Et surtout un surprenant clin d’oeil pour une aventure à quatre mains avec le non moins célèbre et ami de Druillet, Mr Gotlib (qui aura un jour son article dans Préphase). Si il n’y en a qu’un, c’est celui là.

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Mirages et folies augmentées
4. La nuit
Philippe Druillet (1976)

Portant le deuil suite à la mort de sa femme Nicole, Druillet se pose et nous impose l’abime apocalyptique de son instant d’existence. Le cataclysme de sa vie nous est sauvagement servi dans un débordement hallucinatoire et désespéré. L’univers créé et l’histoire de cette fin du monde sont luminaires. L’attente y est anxiogène. Le rythme de ce scénario se déguise dans l’agencement des vignettes, à la fois somptueux et désastreux. Pour la plupart des amateurs de bande dessinée de l’époque Métal Hurlant, c’est un choc majeur. Un métal hurlant au sommet de son lyrisme.
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La nuit
3. Gail
Phillipe Druillet (1978)
Lone Sloane est capturé et finit dans la pire des prisons de l’univers. Bien sûr, l’intervention des dieux aidera Sloane à provoquer une révolte. Dans ce scénario somme toute assez classique, le dessin de Druillet excelle. Je me souviens avoir dévorer cette BD à ma deuxième lecture, prenant 5min à chacune des nombreuses double pages. L’aspect scénique des vaisseaux spatiaux et des planètes y est tellement incroyable. Evidemment l’histoire, mais les vignettes sont plus surprenantes les unes que les autres. Je vous rappelle l’année, 1978, une année riche en science fiction !

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Lone Sloane – Gail
2. Salammbô
Philippe Druillet & Gustave Flaubert (1980 – 1986)

Philippe Druillet se réapproprie et contextualise l’oeuvre de Gustave Flaubert pour nous raconter ce maintenant très célèbre Lone Sloane. Pas facile de faire de la science fiction en utilisant une trame d’un livre du 19ème siècle. C’est, pour moi, l’histoire la plus aboutie de la saga Sloane.
Le dessin reste fantastique. Des visuels à couper le souffle. Un Druillet au sommet de son art, commençant déjà à mêler l’ordinateur au dessin. Je vous rappelle l’époque ! Point de référence, l’année de la sortie de Salammbô sort une autre de mes BD préférées : Watchmen (qu’on retrouvera dans ma liste) Salammbô est donc un incontournable de l’univers de Philippe Druillet.
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Salammbô L’intégrale
1. Nosferatu
Philippe Druillet (1989)
Tourner les pages de Nosferatu vous fait prendre conscience que le style de Druillet est inimitable. L’utilisation du noir dans cette ultime planche montre le paradoxe et la versatilité de l’auteur quand on compare avec les planches ultra colorées précédentes. Pas de bataille galactique dans cet ouvrage mais plutôt le récit d’un vampire dans une fin du monde où la chair fraiche se fait rare. Les citations de Baudelaire viennent bercer ce Dracula – mi Terminator mi Alien – dans ses rencontres et ses élucubrations. Inscrit dans la pure lignée des Moebius (voir l’article sur l’auteur), Caza et consorts, Druillet ponctue l’ère Metal Hurlant avec cette histoire en rupture.

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Nosferatu
Il y a 50 ans, René Goscinny écrivait : « Pour nous, professionnels, Druillet a fait exploser le récit illustré et l’a fait sortir du cadre étroit de ses petites cases. Les échos de cette explosion ne sont pas près de s’éteindre. »
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Merci vous m’avez fait rêver avec ces planches de Druillet, un artiste français majeur
Merci pour votre chronique très respectueuse de l’oeuvre, qu’il faut bien distinguer de l’homme 😉 Concernant l’auteur, longue interview d’icelui dans le « nouveau » (sic) Métal Hurlant N° 4.